L’étude des consultants indépendants et de leur besoin de collectif nous amène à certains concepts de pédopsychiatrie. En l’occurrence, ici, de celui de « holding environment », proposé par D. Winnicott, jamais traduit parfaitement – nous parlons donc ici de manière imparfaite « d’environnements sécurisants », que nous tenterons ici de vous présenter.

 

Appliqué au monde du travail, c’est l’idée d’un environnement – son entreprise, ses collègues – qui a la capacité de réduire l’anxiété car il est compris, connu et maîtrisé et qu’il « protège » de l’extérieur. Et la littérature scientifique explique que c’est la source principale de la création et de l’entretien de ce qu’on nomme « l’identité professionnelle » des individus, qui là encore est un élément fort dans la réduction de l’anxiété.

 

Gianpiero Petriglieri,  Susan J. Ashford et Amy Wrzesniewski proposent dans leur article “Agony and Ecstasy in the Gig Economy: Cultivating Holding Environments for Precarious and Personalized Work Identities que les travailleurs indépendants se retrouvent mécaniquement à manquer de cet environnement sécurisant, puisqu’il est construit et entretenu par le cadre de l’entreprise, et par le travail collectif de collègues du travailleur. Pourtant, les travailleurs indépendants ne sont pas pour autant dépourvus « d’identité professionnelle ». L’équipe de recherche a donc essayé de comprendre à partir de quel contexte ils construisent et entretiennent leur identité professionnelle.

 

Ils ont interviewé 65 travailleurs indépendants américains : 17 consultants, 6 personnes œuvrant dans l’IT, 11 executive coachs, 6 graphistes et 24 personnes dans le secteur artistique ou culturel ; hommes et femmes en proportions égales ; de 27 à 74 ans ; et de 2 plus de 20 ans d’expérience en tant qu’indépendant. Lors de l’analyse des interviews, ils ont constaté que, alors qu’ils abordaient des questions très pratiques (« comment organisez-vous votre journée », « quelles sont vos méthodes de travail » ?), les réponses étaient fréquemment teintées d’une forte dimension émotionnelle, notamment liée à la question de la productivité.

 

En cherchant les schémas récurrents de tous les entretiens, ils ont identifié un processus émotionnel chez les travailleurs indépendants. Bien entendu, il y aura des exceptions, mais il est probable de rencontrer la situation suivante chez un travailleur indépendant :

 

  1. Ne pas bénéficier d’un environnement sécurisant conduit à un « cercle » de rétroactions :
    1. L’indépendant individualise son travail et son identité professionnelle… ce qui le rend anxieux
    2. L’indépendant est anxieux… et diminue cette anxiété en « améliorant » l’individualité de son travail et son identité professionnelle (il a l’impression de mieux maîtriser son activité par cette distinction)
  2. Celui-ci entraîne pour lui deux choses (qui là encore agissent l’une sur l’autre) :
    1. L’indépendant se concentre sur des questions de productivité personnelle
    2. D’importantes tensions émotionnelles
  3. Pour dépasser ces contradictions et tensions, l’indépendant va se « construire » son propre environnement sécurisant en se « connectant » à :
    1. Des personnes importantes pour lui (dans le cadre professionnel)
    2. Des routines de travail personnelles
    3. Des lieux de travail physiques
    4. Des buts pour son activité, son métier ou sa mission

 

Ces quatre éléments constitutifs d’un « environnement sécurisant du travail indépendant » peuvent varier d’un individu à un autre (et surtout la manière concrète dont cela s’exprime). Toutefois, cela semble être des stratégies récurrentes des travailleurs indépendants pour réduire l’anxiété et les tensions liées à leur indépendance et maintenir leur productivité.

 

Autrement dit, si vous êtes travailleur indépendant, vous devriez activement travailler à développer ces quatre éléments dans votre quotidien ; et si vous êtes le client d’un indépendant, d’une part acceptez des « lubies » qu’il pourrait avoir et qui pourraient s’expliquer par une de ces quatre axe, voire soyez pour lui une ressource dans certains de ces éléments.

La production du travailleur et la relation indépendant / client n’en seront que meilleures !