Depuis plusieurs années, la transparence salariale s’est hissée au cœur des débats RH, nourrie à la fois par l’évolution des mentalités, les pressions réglementaires, et la transformation du rapport au travail. Avec l’adoption de la directive européenne 2023/970, une nouvelle étape s’annonce : la transparence sur les rémunérations devient une obligation pour les entreprises de plus de 100 salariés, non plus une option. Mais au-delà du cadre légal, elle révèle aussi un puissant levier stratégique. Retour sur les enseignements clés de l’étude Mercer 2024 Global Pay Transparency Survey et sur les transformations majeures que cette évolution impose aux entreprises.

 

Une attente massive : la transparence est devenue une norme

Selon Mercer, 69 % des entreprises interrogées reconnaissent que la transparence salariale est attendue par les candidats, et 58 % considèrent qu’elle est également exigée par leurs collaborateurs. Plus frappant encore : 46 % des candidats déclarent ne pas postuler à une offre si le salaire n’est pas indiqué. Ce chiffre à lui seul démontre à quel point la communication sur la rémunération est devenue un critère de sélection dans la recherche d’emploi.

La tendance est particulièrement marquée chez les jeunes générations. Près de 90 % de la génération Z se disent à l’aise avec le fait de parler de leur salaire en entreprise. Cette évolution culturelle, portée par les réseaux sociaux, les plateformes d’évaluation (Glassdoor, Indeed, LinkedIn) et un besoin croissant de justice perçue, bouleverse les codes managériaux traditionnels.

 

Transparence et équité : un tandem au service de l’engagement

La transparence n’est pas qu’un enjeu de communication externe. C’est aussi un facteur clé d’engagement et de fidélisation.

Toujours selon l’étude Mercer :

  • Les salariés qui estiment être rémunérés de manière équitable sont 85 % plus engagés.
  • Ils sont 60 % plus susceptibles de rester dans leur entreprise.
  • Et 2 fois plus enclins à comprendre la logique des décisions salariales prises par leur direction.

Autrement dit, l’équité perçue a un impact direct sur la confiance organisationnelle, la performance et la stabilité des équipes. Inversement, l’opacité peut nourrir les suspicions, alimenter la démotivation, voire provoquer du turnover.

 

Une préparation encore insuffisante

Malgré ces constats, l’étude révèle un certain retard dans la mise en œuvre concrète de politiques de transparence salariale. Moins d’un tiers (32 %) des entreprises se disent prêtes à répondre aux exigences mondiales, et seulement 4 % estiment être totalement prêtes pour les changements à venir.

De nombreux DRH reconnaissent une fracture entre les attentes internes et leur propre maturité organisationnelle. Les freins sont multiples :

  • absence de politique de rémunération formalisée,
  • manque d’outillage RH adapté (SIRH, reporting),
  • difficulté à former les managers à expliquer les décisions salariales,
  • peur des tensions internes liées aux comparaisons.

Ce décalage souligne l’urgence d’une montée en compétence RH, ainsi que la nécessité de sortir d’une approche purement légale ou défensive.

 

Une réglementation qui impose le mouvement

La directive européenne 2023/970, qui entrera pleinement en vigueur d’ici 2026, change la donne. Elle prévoit :

  • l’obligation pour les employeurs d’informer les candidats sur les niveaux de rémunération dans les offres d’emploi,
  • la transparence sur les écarts salariaux entre femmes et hommes (moyenne et médiane),
  • une obligation d’évaluation conjointe en cas d’écart supérieur à 5 % non justifié,
  • l’accès des salariés à des critères clairs sur la manière dont leur rémunération est déterminée.

Ces dispositions s’ajoutent à des mesures déjà en place dans certains pays (État de New York, Californie, Royaume-Uni, Canada, etc.) et renforcent une dynamique mondiale vers une culture de la redevabilité salariale.

 

De la conformité à la stratégie : un changement de posture

L’un des messages forts de l’étude Mercer est le suivant : les entreprises qui s’en tiennent à une simple logique de conformité risquent de passer à côté d’un levier stratégique majeur.

Les organisations pionnières qui vont au-delà des exigences minimales le font pour :

  • renforcer leur marque employeur,
  • améliorer l’expérience collaborateur,
  • se différencier sur un marché du travail tendu,
  • incarner leurs engagements RSE et DEI (diversité, équité, inclusion),
  • ou encore répondre à la pression des investisseurs, notamment via les indicateurs ESG (Environnement, Social, Gouvernance).

Certaines entreprises, comme Novartis, citée dans le rapport, ont même intégré des objectifs chiffrés dans leurs rapports publics, supprimé les comparaisons historiques dans les processus de recrutement et outillé leurs managers pour parler de rémunération de façon transparente.

 

5 étapes clés pour structurer sa démarche

L’étude Mercer propose une feuille de route en 5 étapes pour construire une démarche efficace de transparence salariale :

  • Évaluer sa maturité (structures, données, pratiques managériales)
  • Définir ce que l’on souhaite partager, à qui, et comment
  • Adapter ses systèmes et combler les écarts (structures de rémunération, équité)
  • Communiquer clairement et outiller les managers
  • Mesurer l’impact (engagement, recrutement, perception, écarts réels)

Ce processus permet de passer de l’intention à l’action, et de transformer un enjeu sensible en avantage compétitif durable.

La transparence salariale n’est pas une simple contrainte réglementaire : c’est une transformation en profondeur de la relation entre l’entreprise, ses salariés, et ses candidats. C’est aussi une opportunité précieuse de réconcilier performance économique, engagement des collaborateurs et responsabilité sociale.

Les entreprises qui sauront anticiper, structurer et incarner cette évolution seront non seulement conformes, mais surtout crédibles, attractives… et durables.