Le marché de l’emploi cadre en France connaît un net ralentissement depuis 2024, marquant la fin d’un cycle de croissance ininterrompue depuis près de dix ans. Selon les dernières prévisions de l’Association pour l’emploi des cadres (Apec), cette tendance devrait se confirmer en 2025, avec des répercussions notables sur les jeunes diplômés, les seniors et l’ensemble des secteurs économiques.
Une chute marquée des recrutements de cadres
Après une décennie d’augmentation, interrompue uniquement par la crise sanitaire, les embauches de cadres en France ont connu un net recul en 2024. L’Apec rapporte une baisse de 8 % des recrutements, soit un total de 303.400 postes pour l’année. Une dynamique qui devrait se poursuivre en 2025 avec une nouvelle baisse estimée à -4 %, faisant passer les embauches sous le seuil symbolique des 300.000 postes.
Ce retournement intervient après des prévisions initialement optimistes, qui annonçaient encore une croissance de 2 % au début de 2024. La surprise a été de taille, tant pour les économistes que pour les recruteurs.
Une corrélation étroite avec l’investissement des entreprises
Cette contraction du marché cadre s’explique en grande partie par la baisse de l’investissement des entreprises, un facteur historiquement très corrélé aux embauches à haute qualification. Dans un contexte d’incertitude politique et économique — accentué notamment par la montée des tensions commerciales, comme la récente hausse des tarifs douaniers décidée par les États-Unis — les entreprises adoptent une posture attentiste, différant ou gelant leurs projets de recrutement.
Un impact différencié selon les secteurs
Aucun secteur ne semble épargné par cette tendance baissière. Le ralentissement est particulièrement visible dans les services à haute valeur ajoutée, tels que l’informatique, les télécoms, la banque, l’assurance, la R&D, les activités juridiques et le conseil. Ces domaines, qui avaient atteint un niveau record de 180.000 embauches en 2023, enregistrent une chute de 10 % en 2024 et devraient encore baisser de 3 % en 2025.
Le secteur industriel suit la même trajectoire, avec une baisse de 7 % des recrutements en 2024 et une nouvelle contraction de 3 % attendue cette année. Le commerce et la construction sont également touchés, avec respectivement -5 % et -7 % en 2025, tandis que les services hors haute valeur ajoutée (santé, hôtellerie-restauration, action sociale) devraient se maintenir à un niveau similaire à celui de 2024.
Les informaticiens en perte de vitesse
Fait notable : les fonctions informatiques, historiquement très demandées, enregistrent un repli pour la deuxième année consécutive. C’est la première fois depuis 2009, hors crise sanitaire, que ce secteur subit une telle contraction. En cause, une baisse des investissements technologiques et une prudence accrue des entreprises dans leurs plans de transformation numérique.
Débutants et seniors : les grands perdants du retournement
Comme souvent en période de contraction économique, ce sont les profils les plus fragiles qui pâtissent le plus du ralentissement : les jeunes diplômés et les cadres expérimentés.
En 2024, les embauches de jeunes cadres avaient déjà chuté de 19 %. En 2025, la baisse prévue est de 16 %, avec un risque accru d’« effet cicatrice », un phénomène bien documenté où une insertion professionnelle difficile laisse des traces durables sur les carrières. Les cadres de plus de 10 ans d’expérience ne sont pas épargnés, avec des embauches en repli de 11 %.
Une transition RH encore balbutiante pour les seniors
Malgré l’allongement de la durée de vie professionnelle induit par le relèvement de l’âge légal de départ en retraite, les entreprises semblent peu enclines à adapter leurs politiques RH en faveur des seniors. Selon une étude de l’Apec, 60 % des entreprises de taille intermédiaire et des grandes entreprises, et 80 % des PME, n’ont toujours pas ajusté leur gestion des carrières des plus de 50 ans. Ce manque d’anticipation risque d’aggraver les difficultés d’emploi pour cette population.
Portage salarial : une alternative en plein essor
Dans ce contexte tendu, de nombreux cadres — jeunes comme expérimentés — se tournent vers des formes d’emploi plus souples, telles que le portage salarial. Ce dispositif hybride, qui conjugue les avantages du salariat (protection sociale, retraite, assurance chômage) avec l’autonomie du travail indépendant, permet aux professionnels de maintenir une activité sans dépendre entièrement des dynamiques de recrutement. Il constitue également une réponse stratégique pour les entreprises en quête de flexibilité, en leur offrant la possibilité de mobiliser des compétences ponctuelles sans alourdir leur masse salariale.
Un contexte incertain et des perspectives prudentes
Si l’on en croit l’Apec, le retournement du marché de l’emploi cadre se poursuit, mais à un rythme moins brutal que celui observé en 2024. La prudence reste cependant de mise : les chiffres avancés pour 2025 sont à considérer avec circonspection, notamment en raison du décalage observé entre intentions d’embauche et réalisations.
Dans un climat économique marqué par des tensions géopolitiques, des ajustements budgétaires nationaux et une confiance des entreprises en berne, la dynamique de l’emploi cadre pourrait encore se détériorer.
La fin de la « fête » sur le marché de l’emploi cadre ne signifie pas pour autant un effondrement, mais bien une transition vers une nouvelle ère, plus sélective et marquée par une rationalisation des embauches. Dans ce contexte, l’adaptabilité, la montée en compétences, et une réflexion plus stratégique sur les politiques RH seront essentielles.