Depuis la crise du Covid-19, la France connaît une vague de démissions sans précédent. Contrairement aux idées reçues, ce mouvement ne s’explique pas uniquement par des revendications salariales. Une étude menée par la plateforme de recrutement Indeed, en collaboration avec CensusWide, met en lumière une transformation profonde des attentes des salariés français. Le phénomène, encore mal compris par les employeurs, révèle une quête de sens, d’épanouissement personnel et de qualité relationnelle au travail.

 

Une tendance de fond : des démissions en forte hausse depuis 2021

Les chiffres parlent d’eux-mêmes. D’après la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares), le nombre de démissions de CDI et de CDD, à l’initiative des salariés, a dépassé les 500 000 dès le quatrième trimestre 2021. Un sommet a même été atteint au troisième trimestre 2023 avec 557 574 démissions. Ce niveau record n’avait pas été observé depuis la crise de 2008, traduisant une véritable transformation du rapport au travail.

Cette tendance, si elle tend à se stabiliser, reste forte : 23 % des salariés interrogés envisagent encore de quitter leur poste, et 75 % seraient prêts à le faire si le besoin s’en faisait sentir.

 

Les vraies raisons des départs : bien plus que le salaire

L’étude Indeed déconstruit un mythe tenace : le salaire ne motive que 20 % des démissions. Ce chiffre, loin d’être marginal, montre que d’autres facteurs jouent un rôle tout aussi, voire plus, déterminant.

Parmi les motifs de départ les plus fréquents :

  • La recherche de nouveaux défis professionnels (18 %)
  • Le manque de reconnaissance au travail (17 %)
  • L’inadéquation entre le poste occupé et les aspirations personnelles (16 %)
  • La lassitude liée à une trop longue présence au même poste (15 %)
  • Le sentiment de compétences sous-exploitées (13 %)

Autrefois centré sur une loyauté implicite envers l’entreprise, le contrat psychologique entre employeur et salarié devient aujourd’hui plus transactionnel. Comme l’explique Matthieu Poirot, psychologue des organisations : « Le contrat de loyauté disparaît au profit d’un contrat plus individualiste. Les salariés cherchent à répondre à leurs propres besoins plutôt qu’à s’inscrire dans une fidélité inconditionnelle à l’entreprise. »

 

L’équilibre vie pro/vie perso : un enjeu réel, mais secondaire

Si la société évoque de plus en plus la nécessité de concilier vie professionnelle et vie personnelle, seulement 14 % des salariés considèrent cette question comme une raison suffisante pour démissionner. Cela montre que les individus ne recherchent pas uniquement plus de temps libre, mais surtout plus de sens et de qualité dans leur quotidien professionnel.

Le cœur du problème, selon Poirot, est ailleurs : « L’entreprise, c’est une communauté de relations. C’est à travers ces relations que les salariés trouvent du sens. »

 

Un décalage inquiétant entre employeurs et salariés

Le sondage met également en évidence un fossé dans la perception des causes de départ : plus de la moitié des employeurs attribuent les démissions à des raisons financières, tandis que 35 % pensent que l’équilibre vie pro/perso est au cœur du problème. Ces chiffres sont en décalage total avec les motivations réelles exprimées par les salariés.

Ce manque de compréhension mutuelle pose un réel problème de gestion des ressources humaines. Selon Matthieu Poirot, les employeurs sont « sur une autoroute différente » de celle des salariés : ils n’ont pas encore intégré l’évolution culturelle et générationnelle qui redéfinit la place du travail dans la vie des individus.

 

L’écoute : clé de voûte d’une nouvelle culture d’entreprise

L’étude montre cependant que le dialogue est possible. Plus de 75 % des employeurs reconnaissent qu’un meilleur niveau d’écoute aurait pu éviter certaines démissions. Et 96 % admettent la nécessité d’adapter leur organisation aux attentes individuelles (télétravail, flexibilité, autonomie…).

Côté salariés, 96 % estiment également que les entreprises doivent mieux s’adapter à leurs besoins. L’enjeu est clair : instaurer un dialogue constructif, qui dépasse la simple gestion administrative pour entrer dans une logique relationnelle et collaborative.

Pour Matthieu Poirot, cela suppose de réinventer l’imaginaire collectif de l’entreprise : « Il faut sortir de la bureaucratie verticale et encourager une culture fondée sur l’autonomie, l’écoute, et la reconnaissance. »

Ce que l’on appelle parfois à tort la « Grande Démission » n’est pas un caprice passager. Il s’agit d’une révolution silencieuse du rapport au travail, portée par des générations plus conscientes de leurs aspirations, moins enclines à sacrifier leur bien-être au nom d’une loyauté désuète. Le défi pour les entreprises françaises est désormais clair : écouter, comprendre, et s’adapter. Faute de quoi, elles continueront à voir partir des talents qui, plus que de l’argent, cherchent du sens.