L’avènement du travail hybride depuis quelques années marque une rupture profonde avec les méthodes managériales traditionnelles, réinterrogeant les notions de contrôle, d’autonomie et de confiance. Le bureau n’est plus l’unique centre névralgique de l’activité professionnelle. Comment encadrer, motiver et faire collaborer des équipes désormais éclatées entre présentiel et distanciel ?
Du contrôle à la confiance : une mutation accélérée par la crise
Souvenez-vous, le 17 mars 2020, la France entre dans un confinement généralisé. Les salariés quittent précipitamment les open spaces, emportant leur ordinateur portable, sans savoir que cette date marquerait un tournant décisif dans leur rapport au travail. Le télétravail, jusqu’alors réservé à une élite managériale, devient la norme pour une grande partie des actifs. La culture du présentéisme, historiquement enracinée dans l’Hexagone, vacille soudainement.
« Cette période a marqué une véritable rupture avec le monde du travail d’avant », analyse Isabelle Barth, professeure en management à l’Université de Strasbourg. Subitement, les managers ne peuvent plus compter sur la proximité physique pour superviser leurs équipes. La posture de contrôle laisse place, bon gré mal gré, à une nécessaire culture de la confiance.
Le management par objectifs : un nouvel impératif
Emmanuelle Léon, professeure à l’ESCP Business School, insiste sur ce tournant : « Un travail à distance épanouissant va naturellement de pair avec de la confiance. Sinon, les outils numériques deviennent pires que le micromanagement traditionnel. » Le rôle du manager change : il ne s’agit plus d’observer les efforts, mais de juger les résultats.
Ce mode de fonctionnement repose sur un double socle : des collaborateurs compétents et autonomes, et un cadre organisationnel clair. Sans cela, la confiance se transforme vite en un « laisser-faire managérial délétère », comme le souligne Lara Bertola, psychologue du travail. L’excès d’autonomie, mal encadré, peut générer surcharge cognitive, isolement, voire désengagement.
L’hybridation du travail : un modèle encore en rodage
Aujourd’hui, la majorité des entreprises ont opté pour un modèle hybride, mêlant télétravail et présence au bureau. Mais cette nouvelle organisation n’est pas encore stabilisée. Selon Isabelle Barth, « l’hybridité n’est pas encore assimilée dans la plupart des organisations », et certaines constatent même un recul de la performance collective.
L’explication tient souvent à la gestion approximative de cette transition : plannings incohérents, manque de synchronisation des équipes, flou dans les responsabilités. Pour éviter ces écueils, les managers doivent rester les garants de la cohérence stratégique : fixer les objectifs, planifier les temps de rencontre, instaurer des rituels d’équipe.
Des attentes collaborateurs de plus en plus complexes
Autre enjeu de taille : répondre aux nouvelles exigences des salariés. La crise a exacerbé leur quête de sens, de flexibilité et de reconnaissance. Noémie Cicurel, spécialiste chez Robert Half, insiste : « Les salariés veulent comprendre pourquoi ils doivent se rendre au bureau, pourquoi telle tâche leur est confiée. » Le manager devient ainsi un pédagogue, chargé d’expliquer les décisions, de justifier les projets, de motiver par la transparence.
Or, les attentes sont désormais multiples et parfois divergentes au sein d’une même équipe. Certains recherchent une forte autonomie, d’autres ont besoin de repères solides. La personnalisation du management devient une compétence clé.
Confiance et contrôle : une complémentarité à organiser
Les experts en management s’accordent sur un point fondamental : la confiance et le contrôle ne s’opposent pas, ils se complètent. Un management efficace en mode hybride repose sur un équilibre entre liberté et cadre structurant. Il s’agit de canaliser les énergies individuelles vers un objectif collectif, sans brider l’initiative ni abandonner la rigueur.
Ce modèle exige une montée en compétence continue des managers. Ils doivent apprendre à accompagner leurs équipes à distance, à mesurer la performance sans surveillance constante, à repérer les signaux faibles de décrochage ou de surcharge.
Vers un management stable et durable
Il n’existe pas de méthode universelle. Chaque entreprise, chaque équipe, chaque individu possède ses spécificités. Cependant, certaines grandes lignes se dessinent : responsabiliser progressivement, instaurer un cadre rassurant, maintenir des points de contact réguliers, valoriser les résultats plutôt que la présence.
Le défi du management hybride est donc de bâtir un environnement où la souplesse ne vire pas au chaos, et où la confiance ne rime pas avec abandon. Comme le résume Isabelle Barth, « les managers et les salariés ont besoin d’un cadre stable, dans lequel il y a de la souplesse, pour atteindre un certain niveau d’autonomie et performer ».