Il aura fallu attendre près de trois ans après la signature de l’accord professionnel du 24 juin 2010 sur le portage salarial pour enfin obtenir son extension. Comment le processus a-t-il pu s’enliser à ce point, alors que l’accord de juin 2010 avait réuni la quasi-totalité des syndicats de salariés en portage salarial et le PRISME (organisation patronale de l’Intérim) ?

Cet encadrement faisait suite à la légalisation définitive du Portage salarial dans la loi sur la modernisation des relations de travail de juin 2008. Xavier Bertrand, alors ministre du Travail, avait ainsi acté dans la loi la légalité de cette activité en plein essor, mais sans lui donner les moyens de s’organiser. C’était même le PRISME, l’organisation patronale de l’intérim, qui était chargé d’en prévoir les modalités, excluant du dialogue les principaux acteurs du portage salarial. Selon Franck Morel, le climat de négociation de l’accord était marqué par une vive tension. Alors directeur adjoint au cabinet de Xavier Bertrand, il a pu constater que  «  plusieurs entreprises de portage se sont manifestées de manière assez vive pour rejeter les dispositions de l’accord et en appeler aux pouvoirs publics. On a même eu une grève de la faim ! ».

La décision du Gouvernement a donc été de confier à l’IGAS (Inspection générale des affaires sociales) la charge de lui livrer son analyse sur la possible extension de l’accord. A l’arrivée, le rapport de l’IGAS, présenté très vite après la signature de l’Accord et ouvertement contre l’idée d’un portage qui n’inclurait pas l’ensemble des problématique des autonomes et des indépendants, marque un nouveau coup d’arrêt des négociations. Pour Maître Morel, désormais associé d’un cabinet d’avocats spécialisé dans le social : « Les pouvoirs publics avaient deux choix : prendre le risque d’aggraver les tensions passées ou prendre le temps d’entendre tous les arguments des acteurs du portage. C’est le second choix qui a été retenu et à mon sens, cela a permis d’avoir un dialogue constructif. Le temps qui a été pris pour le rapport de l’IGAS semble avoir permis de faire retomber les tensions inhérentes à l’accord ».

Mais alors dans après ce rapport pour le moins réservé de l’IGAS, comment sortir de l’impasse ? Jean-François Bolzinger, secrétaire général adjoint de l’UGICT-CGT (la CGT des cadres) et président de l’OPPS (Office Paritaire du Portage Salarial), qui doit organiser la réflexion avec les partenaires sociaux, ne peut que constater le blocage. Pourtant, il ne va pas ménager ses efforts pour le lever. Son initiative va se faire malgré des réserves dans son propre camp : « La CGT était initialement opposée par principe au portage salarial qui pouvait représenter une déréglementation, une remise en cause des garanties assurées par le Code du travail ». Depuis plusieurs années, il n’a pas hésité à dénoncer « certaines sociétés de portage [qui] ont tenté de dévoyer le statut et se cantonnaient au rôle de « boîte aux lettres. (…) Il a fallu définir un cadre au portage salarial pour qu’il soit plutôt perçu comme une activité d’accompagnement des portés. »

Rapidement, fin 2012, l’horizon se dégage sur tous les fronts en même temps. L’alternance politique signe l’avènement d’une nouvelle conception du dialogue social en France. Le cabinet de Michel Sapin charge alors un conseiller d’organiser l’évolution du statut. Après le temps de la concertation avec l’ensemble des syndicats signataires de l’accord du 24 juin2010, la Direction générale du travail procède à une évaluation des problématiques juridiques inhérentes à l’extension de l’accord. Pendant ce temps, le 13 novembre 2012, le SNEPS (Syndicat national des entreprises de portage salarial) et la FeNPS (Fédération nationale du portage salarial), ayant constaté leur identité de vue sur l’essentiel, et notamment sur la nécessité d’obtenir l’extension de l’accord, fusionnent dans un syndicat professionnel réunifié : le PEPS (Professionnels de l’emploi en portage salarial). Ce syndicat regroupe désormais 90du potentiel d’offre du secteur.

L’accord national interprofessionnel conclu entre les partenaires sociaux le 11 janvier 2013 marque une étape importante dans la constitution progressive d’une flexi-sécurité à la française pour les cadres en transition ou en fin de carrière. C’est dans le sillon de cet autre accord majeur que s’inscrit l’évolution du portage salarial comme l’une des modalités du nouveau modèle social français. « L’important est qu’aujourd’hui de nombreux juristes accompagnent avec attention ce processus. Il y a quarante ans, l’intérim était un secteur dont les pratiques étaient considérées comme illégales. L’intérim a depuis été encadré et stabilisé. A mon sens, le portage salarial doit suivre le même chemin en se stabilisant et en se débarrassant des pratiques douteuses de certaines sociétés », commente Jean-François Bolzinger. L’encadrement réfléchi et sécurisé tant pour les personnes que pour les organisations, porté par une belle unanimité des partenaires sociaux, permet désormais au portage salarial de prendre toute sa place dans le paysage de l’emploi.

C’est tout l’enjeu de l’extension de l’accord de 2010. C’est surtout la validation de la vision d’ITG qui a été à la pointe du combat pour un portage salarial et intérim éthique et responsable.

Article de Christelle Pons, Journaliste social