De nombreuses organisations (salons, associations, cabinets RH) s’efforcent de mettre en avant les chefs d’entreprises femmes, les créatrices et les futures créatrices. Pourquoi entreprendre dans un contexte de reconversion ? Dans quelles circonstances ? Reconversion choisie ou subie ? Les processus et les comportements diffèrent-ils en fonction des générations ?

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Depuis 2013, un salon se concentre sur la reconversion professionnelle des femmes. Créé par deux femmes*, elles-mêmes ayant vécu plusieurs épisodes de repositionnement, ce salon a démarré à Bordeaux les 3 premières années, avant de se déployer dans d’autres métropoles (Toulouse en 2016, Lyon et Nantes en 2017, Poitiers et à nouveau Lyon et Nantes en 2018, enfin Lille en 2019). Depuis 6 ans, nous avons pu rencontrer de nombreuses visiteuses à Bordeaux, autant de profils très différents en termes de besoin d’accompagnement, d’attente d’informations, de projet, etc.

C’est justement en 2013 que le Gouvernement de l’époque a lancé le plan “Entreprendre au féminin”, afin de favoriser celles qui entreprennent et de mieux mobiliser les structures d’accompagnement pour les créatrices. Cette mobilisation s’appuyait sur le constat que les femmes ne représentaient en France que 30% des créations d’entreprise et 1/10 des entreprises innovantes nouvellement créées. En retard par rapport à ses voisins européens, la France limite ainsi un potentiel économique et donc les perspectives professionnelles des femmes, alors qu’elles sont en moyenne plus qualifiées que les hommes à la sortie de l’Université.

Des motivations et des freins spécifiques

Quels sont les freins ? En plus des obstacles à la création en général, les créatrices d’entreprises héritent d’un ancrage culturel qui valorise l’esprit d’entreprise chez les hommes, et ce dès la scolarité. Ensuite, dans leur vie d’adulte, elles ont souvent davantage de difficultés à concilier vie personnelle/familiale et vie professionnelle, préférant plus souvent créer leur entreprise une fois que leurs enfants sont autonomes. Si leur projet d’entreprise nécessite un accès au crédit bancaire, cas général sauf création d’activité libérale type prestations intellectuelles, le plus souvent, le processus bancaire est très mal adapté aux projets de reconversion professionnelle.

En mai 2018, BNP Paribas a lancé avec le cabinet d’études Occurrence une première édition de l’Observatoire annuel national de l’Entrepreneuriat Féminin. Certaines questions de cette étude quantitative sont certes orientées “financement”, et près de 40% des 810 répondantes ont choisi le statut micro-entrepreneur / auto-entrepreneur, justement les créatrices qui n’ont pas spécialement besoin de financement, contrairement aux sociétés. Par ailleurs, “créer une auto-entreprise” ne veut pas dire avoir une entreprise avec une activité financière, puisque près de 40% n’ont pas déclaré de chiffre d’affaires. Dans le contexte de la reconversion professionnelle, on devrait parler d’auto-emploi. Il existe d’autres solutions pour créer, comme les couveuses, les coopératives d’activité et d’emploi et les entreprises de portage salarial**.

Comme on le voit dans les autres salons professionnels (reconversion, création, entrepreneurs, Apec), les femmes sont à plus de 75% au niveau Bac+ et à mi-parcours professionnel (âge moyen 43 ans). Plus de la moitié (59%) quitte le salariat classique pour prendre le risque entrepreneurial, avec une envie d’autonomie, moteur de base de la création. Donner plus de sens à sa vie et retrouver un équilibre vie personnelle / vie privée complètent le podium. Viennent ensuite les autres motivations individuelles : mieux utiliser ses compétences, profiter d’une opportunité, sortir du chômage, puis gagner davantage, qui est seulement en septième position.

 

La nouvelle génération bouscule les cartes

A priori, on continue de dire et de lire que les femmes sont confrontées à un plafond de verre, à des croyances limitantes ou à des domaines d’activité moins techniques. Au salon Profession’L, nombre de témoignages, conférences, intervenants, parlent de manque de confiance en soi, de peur de l’échec, de ne pas gagner assez d’argent, de devoir investir beaucoup de temps pour réussir, etc.

Est-ce toujours aussi vrai ? Est-ce une question de génération ? Il est parfois plus difficile de faire abstraction de la pression sociale et de ses propres représentations quand on a 45-50 ans que 30-35. Un article récent, publié sur LinkedIn par Sophie Breuil, Directrice de la Clientèle de la banque Neuflize OBC, elle-même ex-BNP Paribas, décrit la mutation humaine du secteur bancaire : féminisation de la profession (56% de embauches), montée en puissance des cadres (47%), accélération des créations d’entreprises par des femmes (40% en 2017), part prépondérante des jeunes dans la création au féminin (53% âgées de moins de 40 ans).

Dans un autre article, Sophie Breuil explique que “l’ambition [des femmes] n’est pas un gros mot”. Si la trame de fond des créatrices est d’abord cette recherche d’autonomie – pas seulement financière comme dans l’emploi classique –, avec le besoin d’équilibre pro/perso, elle constate comme moi que les créateurs ne sont plus forcément en quête de pouvoir et de reconnaissance, comme leurs anciens. Les différences entre hommes et femmes sont de plus en plus faibles, à l’image de la porosité envahissante entre vie pro et vie perso. Créatrices d’entreprises ou managers en entreprise, les femmes plus jeunes n’hésitent plus à affirmer leurs prétentions tandis que les hommes deviennent plus nuancés.

Comment mieux conclure que de citer Sophie Breuil qui affirme, dans le second article : « les femmes entrepreneuses font du bien à l’ensemble de la société. Non seulement, elles représentent un potentiel considérable de création d’emploi et d’activité économique pour le territoire, mais elles défrichent bien souvent aussi de nouvelles méthodes de management, participatives et valorisantes pour les collaborateurs »

(*) Séverine Valette et Valentine Bardinet, co-fondatrices de Profession’L (**) “Travailler autrement, créer autrement, via portage salarial” est le thème d’ateliers proposés par ITG dans divers salons professionnels en France